Mes étudiants s'améliorent chaque jour à une vitesse folle, ils prennent enfin possession de l'espace en classe, m'interrompent pour poser des questions (enfin!!), et rient d'eux-mêmes quand je demande si ça va, qu'ils disent oui, pour éclater de rire et dire non ensuite. Enfin je les vois être eux-mêmes et prendre confiance tout en prenant du plaisir en classe.
Le temps passe tellement vite! Dans un mois c'est Noël, dans deux mois la fin des cours et dans trois mois... mon départ.
J'ai encore tellement de projets, tellement de choses à réaliser! J'espère que j'en aurai le temps.
Je voulais envoyer un petit mot particulier à ceux qui continuent de m'écrire, de prendre des nouvelles et de me raconter leur quotidien à eux aussi. Merci beaucoup, vous pensez à moi et ne m'oubliez pas malgré les kilomètres, ça veut dire beaucoup pour moi. Le français me manque beaucoup, ici je ne parle français à personne et sorti de mes cours je ne parle jamais le français (enseigner et discuter n'a vraiment rien à voir). Ma langue me manque beaucoup! Non pas que je sois mécontente d'avoir perfectionné mon anglais pour devenir bilingue (vivre à l'étranger a des avantages) mais la langue de Molière restera à mes yeux la plus belle langue au monde!
Hier j'ai aidé Sonia, une étudiante de 4ème année, à préparer son concours d'entrée au Master. (Ici impossible de faire un Master sans passer le concours, je vous laisse imaginer combien de candidats pour combien de places... peu d'élus...). Son sujet de dissertation portait sur Rousseau, le Contrat social et la liberté de l'Homme. Ça m'a fait tellement de bien de lui parler de littérature et de philosophie! Je voyais ses yeux passionnés, c'était vraiment chouette. Une chose m'a quand même interpelée. Quand elle parlait des entraves à la liberté dans notre société comme les contingences matérielles, l'argent, le travail mais aussi les contraintes liées à notre culture comme les vêtements etc, je lui ai parlé de ces tribus d'Amazonie et d'Australie qui vivent encore dans "cet état de nature" que décrit Rousseau. Elles sont libres de tout code social, de toute contingence matérielle comme les vêtements, la technologie... Sonia ignorait complètement l'existence de ces tribus et de ce mode de vie et était totalement incrédule quand je les lui décrivais. C'est à ce moment que je me rends compte que ma place ici est primordiale pour ces étudiants. Ils ignorent tellement de choses, tellement d'informations leur sont si peu accessibles. Quelquefois je me pose la question "as-tu le droit, te donnerait-on la permission de parler de ce sujet?" et puis finalement je prends la décision de leur parler de tout parce que je pense que cela peut faire la différence, cela peut les inciter à chercher par eux-mêmes, à remettre en questions des idées qu'ils pensent innées.
J'avais été profondément marquée par le fait que leur livre d'Histoire ne fasse ni mention du projet d'Hitler lors de la seconde guerre mondiale, ni des camps de concentration, ni de la collaboration, ni de la résistance. Finalement j'ai décidé de compléter le livre et de tout leur expliquer. Évidemment montrer des photos choquantes n'aurait servi à rien et je ne l'ai pas fait, mais il était important pour moi qu'ils sachent, qu'ils se détachent aussi un peu de l'autorité de leur livre et qu'ils aient la volonté d'aller chercher par eux-mêmes les réponses à leurs interrogations.
Je crois que travailler ici m'aura fait prendre conscience de la chance que j'ai d'enseigner dans un pays comme le Canada. Évidemment je le savais déjà mais c'est en vivant dans un pays très différent qu'on en prend la mesure.